Provins, le lycée Thibaud de Champagne

Le lycée Thibaud de Champagne s’étend sur un site historiquement important, dont la première occupation attestée est le palais des comtes de Champagne, dès le XIe siècle. Comparable par l’importance à celui de Troyes, il connut cependant vers la fin du XIVe siècle une déchéance progressive qui aboutit à la ruine d’une partie des bâtiments qui le composaient.

Organisé depuis l’origine autour d’une cour d’honneur carrée, l’ensemble monumental que constituait ce palais urbain, qui jouxtait la collégiale Saint Quiriace et son quartier canonial, ne se relèvera jamais, malgré la fondation d’un collège en 1670 par les Oratoriens.

Constructions modestes établies sur les ruines de la grande salle comtale ou réutilisation-reconstruction partielle des autres bâtiments, marquée par l’économie, l’adaptation des vestiges du palais par les Oratoriens (grande salle neuve, chapelle) revêt plus un intérêt d’ordre historique qu’architectural. Un siècle plus tard, la Révolution confirma la vocation d’enseignement du site qui, devenu un lycée, connut à son tour de nouvelles transformations. En 1883, une campagne importante de travaux fut lancée, qui se traduisit par la surélévation des constructions oratoriennes et de la chapelle, la restauration “stylistique” partielle du bâtiment de la grande salle neuve (rétablissement de baies gothiques, conservation partielle de dispositions oratoriennes, invention néo-gothique des lucarnes…), enfin la démolition de certains bâtiments médiévaux, remplacés par des constructions neuves. Peu après, des inserts occultèrent les vides qui articulaient les grandes masses, auparavant isolées des bâtiments d’origine, atténuant la perception de leur architecture. La dernière campagne de travaux, en 1963, développa l’ensemble vers l’est, au-delà de l’enceinte castrale, sur les glacis, par la création d’un long bâtiment courbe en contrebas du lycée existant, sans créer de percement dans le dispositif initial permettant de le relier. Aujourd’hui, l’ensemble bâti est le résultat d’une évolution qui relève plus d’adaptations conjoncturelles successives réalisées dans un contexte où l’économie de moyens a toujours été prédominante.

État des lieux

Si, malgré ces modifications successives, la compréhension d’une partie des dispositions d’origine est encore possible, leur état n’en a pas moins été profondément modifié, que ce soit au niveau de l’articulation urbaine, la limite entre le palais et le quartier canonial, n’existant plus actuellement, ou encore au niveau des bâtiments, de leur architecture, leur volumétrie, leurs percements, leurs décors…

Les ajouts, densifications diverses, ont contribué à masquer et faire perdre la perception d’une partie intéressante des bâtiments (bâtiment du XIIIe siècle, chapelle, pignons du logis comtal), dont l’autonomie originelle a été dissoute dans une masse amorphe. Ils ont aussi supprimé les transparences qui mettaient en relation la cour centrale avec ses développements et les paysages extérieurs au sud et à l’est.

Les ajouts et densifications diverses ont, enfin, rigidifié le fonctionnement général du site, la cour centrale n’étant plus accessible qu’en contournant l’ensemble des bâtiments. Cette évolution enfin, a laissé un lycée dont les fonctions ne sont pas toujours rationnellement réparties, ni adaptées aux constructions qui les accueillent.

De ce fait, le bâtiment est porteur d’une image hybride et détériorée de l’institution qui n’est ni celle d’un palais qui aurait pu devenir un monument historique prestigieux, ni celle d’un lycée moderne et vivant comme on serait en droit de l’attendre. L’accumulation gauche de bâtiments disparates et tristes, voire hostiles, s’avère peu propice à un phénomène d’identification des élèves avec le lieu où ils passent une partie importante de leur adolescence et qui devrait contribuer à leur épanouissement et à la formation de leur sensibilité.

Le projet

L’objectif du projet, au-delà de la remise à niveau demandée (normes, obsolescence…) est donc, à travers une série de propositions, de restructurer cet ensemble, d’en révéler les qualités architecturales, les relations avec l’environnement, d’en donner une image réévaluée à laquelle les élèves puissent s’identifier, de créer des lieux de sociabilité, une qualité de vie et une fonctionnalité compatibles avec les besoins actuels de la vie scolaire1 .

Les grandes orientations du projet pour atteindre cet objectif sont les suivantes :

  • désenclavement des différentes parties du lycée, par la démolition des principaux points de blocage, reconstructions ponctuelles, réhabilitation et remise en valeur des bâtiments anciens. Cette intervention permettra à la fois un meilleur fonctionnement interne (liaisons entre les bâtiments), une identification des bâtiments selon leur qualité et leur capacité à accueillir des fonctions (groupes de fonctions). Les désenclavements feront respirer des lieux aujourd’hui fermés, rigides et morts. Le soleil y pénétrera, des ouvertures, des vues sur l’extérieur seront créées, améliorant ainsi la vie sociale.
  • Une meilleure perception mutuelle des différentes parties constituant le lycée et une meilleure reconquête de l’ouverture sur le site et le paysage environnant.

Les interventions de démolition/reconstruction auront également pour but de révéler les qualités plastiques de l’architecture ancienne, pignons du bâtiment du XIIIe siècle, volume de la chapelle, et d’aider à leur identification comme éléments structurant la composition, alors qu’ils sont aujourd’hui noyés dans des constructions adventices.

Les bâtiments neufs et les réhabilitations seront projetés sur les bases issues de l’analyse du site et des édifices existants comprenant l’analyse des propriétés métriques et modulaires structurant le site, ainsi que l’analyse syntaxique des figures géométriques de base composant les différents bâtiments. Lorsque le Conseil régional d’Île de France a lancé en l’an 2000 une consultation pour la réhabilitation du lycée Thibaud de Champagne, dont l’objet était essentiellement la mise aux normes des installations existantes, conscient de la complexité du contexte, il a pris soin de faire réaliser à l’attention des maîtres d’œuvre une « évaluation historique et architecturale des ouvrages anciens du lycée », confiée à
Jacques Moulin, ACMH2 .

Comme cela a été évoqué, le lycée occupe le site de l’ancien palais des comtes de Champagne,
situé au chevet de l’église Saint-Quiriace, à la limite est de la ville haute. Cette situation dominante dans le site le met en relation avec, à l’est, la ville basse et ses monuments, au nord, avec le couvent des Cordelières, bâti à flanc de coteau, au sud enfin, avec la vallée industrielle bordée par le plateau. Il occupe également la frange nord-est de l’ancien quartier canonial de Saint-Quiriace (maison de Paul Branchu, dite chapelle Sainte Lucence, classée au titre des monuments historiques).

Malgré des transformations importantes, la composition d’origine du palais reste encore lisible et une partie des constructions, bien qu’altérées dans leur substance, remonte à cette occupation prestigieuse (les restes de la chapelle et l’ancienne grande salle comtale avec son pignon en ruine sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques). La fonction actuelle revêt elle aussi une historicité incontestable, l’établissement d’enseignement ayant été fondé dès 1670 par les Oratoriens. Leur installation, austère dépourvue de moyens, n’a pas utilisé la totalité de l’emprise des bâtiments du palais, laissant notamment à l’état de ruine la moitié est de la grande salle comtale, qui constitue ainsi qu’un certain nombre de points du site, une réserve archéologique.

Le projet implique donc d’intégrer plusieurs problématiques complémentaires aux contraintes courantes :

  • co-visibilité avec des édifices protégés au titre de la loi de 1913 sur les MH,
  • réutilisation, conservation, restauration d’édifices protégés au titre de la loi de 1913 sur les MH,
  • démolition de bâtiments existants, construction de bâtiments nouveaux sur des sols archéologiquement sensibles,
  • terrain situé dans l’emprise d’une ZPPAUP

Assez naturellement, le maître d’ouvrage et les architectes ont souhaité rencontrer les différents services concernés par l’instruction du projet, afin de bénéficier, d’une part, de l’apport de leur intervention dans le débat, d’autre part, de les sensibiliser le plus en amont possible à l’analyse du problème et aux orientations proposées. Des réunions régulières, dont une consacrée à la visite du site, ont mis l’équipe de projet en
relation avec l’architecte des bâtiments de France, le conservateur régional des monuments historiques et la conservation régionale de l’archéologie.

Pascal PRUNET
Architecte en chef des monuments historiques


Témoignage : Une expérience de partenariat réussie

par Dominique Cerclet
Conservateur régional des monuments historiques d’Île-de-France

Dans le cadre de sa politique de rénovation du patrimoine scolaire, le Conseil régional d’Île-de-France s’est engagé, à l’automne 2001, dans un programme de remise aux normes des installations existantes du lycée Thibaud de Champagne, à Provins.

Sans revenir sur le contexte historique architectural et urbain du site décrit par l’architecte Pascal Prunet, il faut néanmoins remarquer la particulière sensibilité de cette opération qui touche l’un des espaces le plus chargés d’histoire de Provins. Au centre de la ville haute, subsistent des éléments du palais comtal, de sa chapelle, et quelques maisons canoniales dépendant, à l’origine, de la collégiale voisine Saint-Quiriace.

Dès la communication des premières propositions de l’architecte, le Conseil régional, maître d’ouvrage, a souhaité présenter le projet aux services concernés de l’Etat. L’architecte des bâtiments de France, le service régional de l’archéologie et la conservation régionale des monuments historiques, associés très en amont, ont commencé avec l’architecte un fructueux travail de concertation. Lors de la première rencontre, l’architecte a précisé la nature des prestations attendues par la maîtrise d’ouvrage déléguée à G3A. Celles-ci consistaient en une simple réhabilitation des équipements techniques du lycée, afin d’offrir de meilleures conditions d’accueil aux élèves. Se posait tout naturellement l’impact de ce programme sur un site historiquement très sensible.

Les services de l’État ont alors demandé que puisse leur être clairement présenté le parti de réorganisation fonctionnelle du site, avec la mise en évidence des démolitions et des reconstructions envisagées, ainsi que le principe de traitement des bâtiments protégés. Ils ont proposé d’appuyer cette démarche sur une analyse critique de l’évolution des façades, sur une meilleure définition des partis d’intervention pour la restauration des parties historiques, sur une justification des références architecturales utilisées pour les adjonctions contemporaines.

Durant l’année 2002, des réunions successives ont permis de déterminer avec plus de précision
les différentes orientations que les services de l’Etat souhaitaient voir prendre en compte. Lors d’une visite sur le site, il est ainsi apparu nécessaire d’affiner les interventions prévues sur les parties construites protégées. || a été également décidé de lancer plusieurs sondages ponctuels pour vérifier les niveaux archéologiques en place. Enfin, un cahier des charges a été rédigé dans la perspective d’une commande d’étude préalable sur les vestiges de la grande salle comtale — plus particulièrement son pignon Nord - sur la chapelle et sur les maisons canoniales.

L’étude entreprise sur le site actuel du lycée Thibaud de Champagne a pour objectif de définir des principes de mise en valeur compatibles avec la conservation des éléments protégés. Les analyses en cours permettront de préciser, plus particulièrement, la nature des interventions sur les éléments de peintures murales conservés dans les maisons canoniales.

À ce stade d’avancement du projet, certains points restent encore à arrêter : la nature des
matériaux des constructions neuves et l’importance prise par ces dernières sur le site qui, notamment aux abords du chevet de Saint-Quiriace, font encore l’objet de débats. Mais, dès à présent, il faut se louer de la méthode adoptée. Une concertation régulière, engagée très tôt, a permis la validation, étape par étape, de cette intervention contemporaine, dont la franche écriture architecturale, minimaliste mais très lisible, remettra en évidence l’importance historique de ce lieu, tout en évitant la tentation de la restitution outrancière.

Le pragmatisme de cette méthode de partenariat, entre État et collectivité territoriale, permet d’envisager de nouvelles perspectives, et d’inaugurer un type de procédure plus ouvert dans la conduite de projets de restauration sur le patrimoine monumental.

  1. G3A à été mandataire du conseil régional d’Ile de France, maître d’ouvrage de cette opération. Façade ouest de la chapelle de l’ancien palais comtal et la façade nord de l’ancien logis des comtes de Champagne.
  2. Cette étude cite et développe l’article de Jean Mesqui et Pierre Garrigou-Grandchamp, « Le palais des Comtes de Champagne à Provins » (XIe-XIIIe siècles) publié dans le Bulletin Monumental en 1993 (tome 151-II).
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